Solidarité intergénérationnelle : déséquilibre apparent ?

Rédigé par Damien Vieillard-Baron        Publié le 27/03/2024

La solidarité intergénérationnelle, au cœur de l’actualité de la protection sociale en France, évolue face aux défis du vieillissement de la population. En effet, c’est une gigantesque machine à collecter et redistribuer la richesse produite. En 2019, ce sont plus de 700 milliards d’euros – soit 31,3% du PIB – qui ont transité par les comptes sociaux de la nation pour financer les retraites, la santé, la lutte contre la pauvreté, le logement, et les prestations familiales. Cette somme contribue massivement à réduire les inégalités de revenus, un transfert s’opérant entre ménages aisés et ménages modestes.

Mais, au fondement de la protection sociale française, il y a surtout un autre principe. Ce sont les actifs qui paient pour les inactifs, les plus jeunes et les plus âgés. Comment cette solidarité intergénérationnelle a-t-elle évolué ? C’est la question qu’a traité le COR (Conseil d’orientation des retraites) en compilant des travaux de chercheurs et des études socio-économiques. Une question que nous souhaitons formuler différemment : le poids du système de protection sociale est-il supportable pour les jeunes actifs ?

La protection sociale à l’épreuve du vieillissement

En 1979, les dépenses de protection sociale représentaient 25% du PIB. Aujourd’hui, elles atteignent 31,3% de la richesse nationale. Leur augmentation est principalement à mettre sur le compte des postes Maladie et Vieillesse. Sans surprise, ce sont les personnes âgées de plus de 60 ans qui ont le plus nettement porté cette progression. Leurs dépenses de protection sociale pesaient un peu plus de 10% du PIB en 1979 ; en 2019, elles ont grimpé à plus de 18%, près d’un cinquième de la richesse produite. Cette année-là, 450 milliards d’euros de prestations sociales leur ont été distribués.

Cette évolution est uniquement due au vieillissement de la population et à l’accroissement du nombre de bénéficiaires de plus de 60 ans. En effet, sur la période, les prestations par tête, rapportées au PIB, ont plutôt eu tendance à stagner et même, à régresser au cours des 10 dernières années. À l’âge de 70 ans, une personne bénéficie d’environ 29.000 euros de dépenses sociales. Soit la majeure partie au titre de sa pension de retraite, et environ 5.000 euros pour sa santé. À l’âge de 25 ans, la somme perçue au titre de la solidarité nationale – intégrant chômage, insertion, maternité, santé, etc. – ne dépasse pas les 5.000 euros.

Les ajustements du financement de la protection sociale

Le système de protection sociale est, dans son principe, financé par les actifs. L’évolution démographique leur a été défavorable au cours des 4 dernières décennies : plus de bénéficiaires, moins de cotisants. Cependant, une série de réformes a conduit à une diversification des ressources et à un élargissement de l’assiette. D’abord, la CSG, puis les autorités ont affecté différents impôts et taxes à son financement. Ces prélèvements ont contribué à répartir un peu mieux l’effort et à solliciter également les populations plus âgées. Ensuite, le projet de réforme des retraites en France en 2020 a freiné l’augmentation des dépenses. Notamment en retardant l’âge du départ en retraite et en tassant les pensions ; ce qui a permis une économie estimée pour l’année 2019 à 50 milliards d’euros.

Malgré cela, le poids du financement pèse lourdement sur les épaules des actifs. Les 40-59 ans sont les plus touchés. En 2019, une personne située dans cette tranche d’âge contribuait à hauteur de 19.400 euros par an, contre moins de 8.000 euros pour les 60-79 ans, dont la participation a pourtant fortement augmenté au cours des années 2000.

Les jeunes actifs : victimes de la solidarité intergénérationnelle ?

Les jeunes, âgés de 20 à 39 ans seraient-ils finalement mieux lotis ? Pas vraiment. D’abord, chacun, dans cette tranche d’âge, participe au financement de la protection sociale et donc à la solidarité intergénérationnelle, en moyenne, à hauteur de 14.500 euros par an, dont deux tiers de cotisations. Certes, c’est moins que les 40-59 ans… mais pour une bonne raison : leurs revenus sont proportionnellement inférieurs. Ce n’était pas le cas à la fin des années 1970. Mieux formés que leurs aînés, entrant plus tôt dans la vie active qu’actuellement, bénéficiant de carrières dynamiques et d’augmentations de salaires rapides, les jeunes actifs arrivaient à leur « pic de cotisation » à 30 ans en 1979.

Aujourd’hui, malgré une baisse relative de leur contribution à la protection sociale, le taux d’effort* des 20-39 ans s’élève à 39%, soit un niveau jamais atteint et supérieur à celui de toutes les autres tranches d’âge. Les jeunes font donc des « efforts » inédits, au regard de leurs moyens, pour faire tenir le système. Dans le même temps, ils doivent attendre leurs 40 ans pour atteindre le niveau de vie des retraités. Leur taux d’épargne ne dépasse pas 9%, tandis qu’il est de 25% pour les personnes de plus de 70 ans. L’achat de leur logement est un rêve lointain.

Pour conclure

En résumé, les jeunes actifs travaillent et cotisent patiemment en attendant les jours meilleurs pendant que leurs aînés épargnent (retrouvez notre article sur le schéma d’épargne salariale). Le système, fondé sur la solidarité intergénérationnelle est-il toujours adapté à la situation actuelle ? La question mérite d’être posée. Elle pourrait aussi bien être mise en perspective de phénomènes qui touchent fortement les jeunes générations : l’absentéisme en entreprise, le désengagement et la perte de sens au travail. Et si ces manifestations de découragement relevaient finalement d’un calcul rationnel. Travailler pour financer cette protection est sans doute une satisfaction. Encore faut-il pouvoir, après cela, garder assez pour financer ses propres projets de vie.

*Le taux d’effort pour le financement de la protection sociale est le rapport entre ce que les individus paient pour le financement de cette dernière et leurs revenus « superbruts », c’est-à-dire, rémunérations + cotisations + transferts publics monétaires.

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Article écrit par
Damien Vieillard-Baron

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