Retraite par répartition ou Ponzi social : jusqu’où peut-on étirer le lien intergénérationnel ?

Rédigé par Amadou Kasse        Publié le 26/06/2025

Alors que les débats sur la réforme des retraites ressurgissent à intervalles réguliers, une analogie revient souvent dans les discours, tantôt comme provocation, tantôt comme mise en garde : celle du système de retraite par répartition comparé à une chaîne de Ponzi.

Si cette comparaison peut paraître excessive, elle a néanmoins le mérite de pointer une vérité structurelle. Notre modèle de retraite par répartition actuel repose sur un fragile équilibre intergénérationnel, aujourd’hui sérieusement mis à l’épreuve par les dynamiques démographiques.

Un modèle sous tension fondé sur la solidarité intergénérationnelle

Le système de retraite par répartition, pilier de notre modèle social depuis l’après-guerre, fonctionne selon un principe simple. Les cotisations des actifs financent directement les pensions des retraités. Il ne repose donc pas sur une épargne préalable mais sur la continuité et la vigueur du lien entre les générations.

Cette architecture, longtemps efficace, s’essouffle face à une réalité implacable : la France comptera 1,2 actif pour 1 retraité d’ici 2070, contre 1,8 aujourd’hui, et plus de 4 dans les années 1960. À ce rythme, maintenir les équilibres financiers exigerait soit des hausses de cotisations, soit des baisses de pensions, soit un recul de l’âge de départ. Trois options politiquement sensibles, socialement clivantes, économiquement incertaines.
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La comparaison avec la chaîne de Ponzi : un signal d’alerte, non une équivalence

En effet, la chaîne de Ponzi reposait sur un mécanisme simple mais trompeur. Charles Ponzi rémunérait les anciens investisseurs avec les fonds apportés par les nouveaux investisseurs, sans générer de profits réels à partir d’une activité économique viable.

Ce montage frauduleux s’effondre dès que les nouveaux entrants se raréfient. Le système de retraite par répartition n’a évidemment rien d’illégal, ni d’intentionnellement frauduleux. Mais il partage une caractéristique clé avec ce mécanisme : l’absence de réserves autonomes. Il dépend donc des flux entrants constants pour fonctionner. La chute du ratio cotisants/retraités, combinée à une croissance économique atone et à un chômage structurel, vient fragiliser ce fondement.

Un modèle à bout de souffle ? Les limites du statu quo

Les limites du système de retraite par répartition sont de plus en plus claires :

  • Un déséquilibre démographique durable, avec l’arrivée des générations du baby-boom à la retraite et une natalité en déclin ;
  • Une pression accrue sur les actifs, déjà confrontés à une forte charge fiscale et sociale ;
  • Une promesse implicite menacée, celle de bénéficier demain des droits acquis aujourd’hui.

À l’instar d’une chaîne de Ponzi, la stabilité ne tient que tant que le système de retraite par répartition croît. Une croissance qui, dans le cas présent, ne dépend pas du rendement d’un actif, mais du nombre et de la productivité des cotisants. Mais ce système devient incertain dans une société vieillissante.

Vers un système de retraite mixte ?

Face à cette impasse, plusieurs pays ont fait le choix d’un modèle de retraite hybride, articulant répartition et capitalisation. Les Pays-Bas, le Danemark ou encore la Suède, combinent solidarité collective et responsabilité individuelle, avec des résultats probants : taux de remplacement plus élevés, soutenabilité à long terme, meilleure acceptation sociale des efforts requis.

En France, une telle transition impliquerait :

  • Un fléchage progressif d’une part des cotisations vers des fonds capitalisés
  • La mise en place de dispositifs réglementés et sécurisés pour limiter les risques de marché
  • Une pédagogie financière renforcée, pour accompagner les citoyens dans la gestion de leur épargne retraite

Selon une étude de l’IREF, une transition étalée sur 50 ans permettrait de financer les retraites en cours tout en constituant un capital pour les générations futures, évitant ainsi une rupture brutale du système de retraite par répartition.

Le cas néerlandais : avantages du système mixte

Aux Pays-Bas, la pension d’État est intégralement financée par les cotisations des salariés, sans contribution des employeurs. Cette pension publique représente environ 50 % du salaire minimum, indépendamment du revenu antérieur du salarié. En conséquence, 90 % des salariés bénéficient d’un régime de retraite complémentaire, souvent mis en place par l’employeur, d’une retraite supplémentaire ou d’un fonds sectoriel.

Ne pas offrir de régime complémentaire peut nuire à l’attractivité de l’entreprise mais aussi à la santé financière de vos salariés. Le coût d’un tel régime varie entre 12 et 20 % du salaire brut, selon le niveau de couverture visé.

Les avantages du modèle mixte :

  • Diversification des risques : en combinant répartition et capitalisation, le système néerlandais limite l’impact du vieillissement démographique et de la conjoncture économique sur la viabilité des retraites.
  • Taux de remplacement élevé : grâce à la complémentaire obligatoire, le taux de remplacement global (public + complémentaire) est parmi les plus élevés d’Europe, souvent supérieur à celui observé en France pour des carrières complètes.
  • Gouvernance paritaire : les fonds de pension sont cogérés par les partenaires sociaux (employeurs et syndicats), ce qui favorise la transparence et l’adaptation aux besoins des assurés.
  • Stabilité et attractivité : le système est jugé performant et stable, ce qui contribue à la confiance des actifs et des retraités.

Le modèle néerlandais repose sur plusieurs piliers :

Aspect Système néerlandais (Mixte) Système français (Répartition)
Source de financement Répartition (AOW) + Capitalisation (fonds de pension) Répartition uniquement
Diversification Oui, risques partagés entre Etat et marchés financiers Non, dépendance unique à la démographie
Couverture 90% des salariés ont une complémentaire obligatoire (entreprises ou fonds de pension) Couverture universelle, mais variable selon carrière
Taux de remplacement Taux élevé. Vise 70% du salaire moyen de carrière Taux variable, souvent inférieur pour les cadres et hauts revenus (entre 48% et 60%)
Soutenabilité Résilient face au vieillissement démographique Fragile - déséquilibre actifs/retraités
Individualisation Droits liés à l'épargne et à la carrière individuelle Droits liés à la solidarité intergénérationnelle

 

Redonner confiance, préparer l’avenir

Réformer la retraite par répartition ne consiste pas à “casser le modèle social”, mais à l’adapter à une société qui a profondément changé. L’allongement de la vie, la diversification des parcours professionnels et la mondialisation de l’économie appellent à repenser la structure même du financement des retraites.

Cette réforme de structure - et non seulement de paramètres - doit être abordée avec transparence, responsabilité et concertation. Ce n’est pas seulement une question d’équilibre comptable, mais de justice entre les générations et de confiance dans l’avenir.

Le parallèle entre le système de retraite par répartition et une chaîne de Ponzi n’est pas un procès d’intention, mais un signal d’alerte. Si nous voulons éviter l’impasse, il nous faut anticiper plutôt que subir. Miser sur un système exclusivement fondé sur la démographie, ici sur un lien intergénérationnel, dans une société vieillissante, c’est jouer à quitte ou double avec le pacte social.

Il est temps d’ouvrir le débat sur un système de retraite plus résilient, plus diversifié et plus adapté aux défis du XXIe siècle.

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Article écrit par
Amadou Kasse

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